La marque « MONT BLANC » : crème dessert ou vodka ?

4 janvier 2021 | Marque

Déchéance partielle et prise en compte de la réglementation sur la publicité indirecte pour les boissons alcooliques

Nous sommes nombreux à connaître la marque MONT BLANC pour les crèmes dessert. Dans les années 1970, elle représentait la plus grande part de marché ; elle conserve encore une part honorable en se classant il y a quelques années en quatrième position derrière Danette, Yoplait et La Laitière.

La marque MONT BLANC créée en Haute-Savoie en 1917 par la société éponyme fut enregistrée en 1985 à l’INPI non seulement pour les produits laitiers, mais encore – de manière qui peut paraître surprenante – pour les vins et liqueurs.

Surveillant les marques déposées en France, la société Mont Blanc repère en 2013 la marque internationale MONT BLANC désignant la France et déposée par la société de droit russe Unipak pour de la vodka. Dénonçant le risque de confusion pouvant exister entre les produits susceptibles d’être commercialisés par les deux sociétés, la société Mont Blanc se prévalant de l’antériorité de sa propre marque pour les alcools fait opposition à la marque de la société russe pour de la vodka.

Or, lorsqu’une marque n’est pas utilisée pendant une période ininterrompue de cinq ans pour des produits et services enregistrés, elle encourt la déchéance pour ces produits et services. C’est justement ce qu’a fait valoir la société russe devant le Tribunal pour faire annuler partiellement la marque MONT BLANC de la société française, relative aux vins et liqueurs. Le juge n’a nullement retenu les justifications de la société Mont Blanc qui expliqua qu’elle avait sciemment déposé sa marque aussi pour les alcools afin d’en faire une marque de barrage destinée à empêcher toute commercialisation de boissons alcoolisées sous le même nom, et cela par « souci de préserver sa notoriété et son image de marque, en l’occurrence celle d’une entreprise produisant et commercialisant des produits essentiellement destinés aux enfants et adolescents, notamment des crèmes dessert et autres produits transformés à base de lait ». On soulignera que les arguments de la société Mont Blanc n’ont pas été retenus par les juges en tant que « justes motifs » au sens de l’article L. 714-5 du Code de la propriété intellectuelle, les justes motifs pour le non-usage d’une marque devant selon les termes d’une décision de 2007 de la Cour de Justice des Communautés Européennes, s’entendre des obstacles qui certes présentent une relation directe avec la marque rendant impossible son usage, mais qui sont en outre indépendants de la volonté de son titulaire.

Toujours en première instance, la société Mont Blanc tenta en demande reconventionnelle de faire annuler la marque MONT BLANC de la société russe Unipak pour de la vodka, mais sans succès. En revanche, elle obtint gain de cause pour l’interdiction de commercialisation ou de promotion sous la marque MONT BLANC de boissons alcoolisées sur le territoire français par la société russe. En octobre 2020, la cour d’appel, confirme le premier jugement en partageant sa même analyse : « une telle commercialisation, en ce qu’elle porte sur des produits aux antipodes de ceux commercialisés par la société Mont Blanc, serait de nature à porter préjudice à celle-ci, comme venant perturber le message promotionnel véhiculé par elle depuis plusieurs décennies auprès d’un jeune public par définition non consommateur d’alcool, en l’occurrence un message présentant les produits laitiers comme sains et dynamisants, alors qu’à l’inverse l’innocuité des boissons alcoolisées, a fortiori des alcools forts, est très contestée, à tout le moins par la communauté scientifique et médicale ».

Si la société russe est parvenue à ne pas faire annuler sa marque MONT BLANC pour de la vodka, nous avons trouvé intéressant de mettre en avant la décision lui interdisant toute promotion ou commercialisation de boissons alcoolisées sur le territoire français sous sa marque, avec pour fondement, l’entrave qu’aurait sinon subie la société Mont Blanc à la libre utilisation de sa marque antérieure dont la renommée pour les produits laitiers est toujours actuelle. En effet, la société Mont Blanc aurait été contrainte à se soumettre à des restrictions publicitaires, résultant du Code de la santé publique pour prévenir l’alcoolisme, puisque sa publicité aurait pu être considérée comme de la publicité indirecte pour des boissons alcoolisées. Attendons de savoir si cette décision susceptible de pourvoi en cassation deviendra définitive.

Muriel Aupetit